Réflexion: Quel visage demain, pour la publicité au Cameroun ? Par Gabriel Koueni*
Regard et analyse d’un
professionnel du secteur. Noues étions en 2004. Qu'est ce qui a changé?
Il est 6h du matin
-peut-être un peu plus tôt-, vous êtes réveillé
votre radio de chevet vous balance, avant votre journal préféré, un spot
de 30 secondes, d’un groupe bien connu, avec une signature "CFAO
Technologies, intégrateur de solutions". Il est 7h15, en plein
embouteillage, dans un taxi ou dans votre voiture, vos yeux s’immobilisent sur
un grand panneau de 18m2 sur lequel vous recevez la demande innocente d’une
belle adolescente "Pour noël j’aimerais pouvoir téléphoner tous les soirs
a mes amis". Vous n’avez pas fini de lire l’affiche qu’un jeune homme vous
approche pour vous proposer une boisson gazeuse fraîche, bien conservée dans
son pousse-pousse. Au bureau, votre Quotidien invite les fans de Mützig, en
bandeau à la première page, à participer au : "Concours national de la
chanson" Le soir, enfin, avant de
suivre votre journal à la télé, voilà qu’on vous vante les effets énergétiques
de Malta Guinness, censée vous procurer bien de forces. Décidément !
Quelle est donc cette
activité qui quadrille, aseptise la ville et vous traque au quotidien en
touchant tous vos sens? Eh bien, c’est de la publicité. Je me souviens bien que
mon père l’appelait la propagande ... Les sociologues, psychologues et autres
moralistes quant à eux considèrent qu’il s’agit d’une activité essentiellement
ludique, qui se réduit au seul vacarme qu’elle suscite.
Mener une réflexion
transversale sur cette activité au Cameroun ne saurait relever d’une simple
distraction intellectuelle. Surtout lorsque cette observation est conduite par
un publicitaire, pur produit des bancs fendus d’une grande école de commerce de
notre pays.
Aujourd’hui, on ne
distingue plus vraiment le journaliste de l’animateur radio, le publicitaire du
communicateur. 80 % des spots radio sont conçus dans des studios entre 2
émissions radio, sans brief ni story board, encore moins de casting digne de ce nom. C’est bien là la
conséquence de l’impunité. Ceux qui transgressent la seule et unique loi qui
régit la profession de publicitaire au Cameroun le font sans être inquiété
d’aucune façon ! Tenez :
- Les annonceurs s’adressent directement aux supports, qui produisent et assurent eux-mêmes la régie de leur supports de communication ;
- Les principaux supports existant grâce aux impôts des contribuables ont créé leur propre régie publicitaire et ne réservent aucune place aux autres régies à capitaux privés (les tarifs ne sont pas différents pour l’annonceur et une régie privée agréée)
- Des gros budgets sont investis à coup de recommandations dans les agendas et autres documents de prestige et édités par des sociétés fictives sans siège social identifiable au profit des commerçants touristes non agrées et résidents permanents dans les hôtels pour la période de prospection et d’encaissement des factures ;
- Les publicités sont conçues et diffusées sans aucun respect des règles éthiques et choquent les mœurs ;
- Les spots radios et télé font de la publicité mensongère sur des produits sensibles comme les médicaments et autres ;
- Des publicités exploitent la naïveté du public jeune(enfants, adolescents)
Il y a sûrement lieu de
retourner à un ordre moral de ce métier au Cameroun.
La profession est devenue le terrain de la débrouillardise
et a du mal à connaître une organisation corporative qui permettrait d’aider l’Etat
à y mettre de l’ordre. Quelques tentatives de regroupement échouent, à cause,
semble-t-il , de la qualité et du poids des initiateurs sur le marché.
L’actuelle structure de
régulation, le Conseil national de la Publicité, est handicapée par l’absence
des membres légalement désignés, et, surtout, par le désordre volontairement
entretenu par des acteurs qui n’étaient pas préparés à la libéralisation dans le secteur de l’affichage. Chaque
session consacre alors 80 % du temps à lire, relire et préciser l’esprit des
textes qui régissent l’affichage au Cameroun.
C’est donc le lieu de
regretter que les agréments délivrés pour l’exercice de cette profession soient
d’une périodicité annuelle. On pourrait bien autoriser les agences qui ont
renouvelé quatre fois leur agrément à exercer pour une période de 5 ans sans
constituer de nouveaux dossiers de demande de renouvellement tous les douze
mois !
Nous suggérons également
que le Conseil National de la Publicité soit repensé dans sa forme juridique et
dans son fonctionnement pour la protection des consommateurs de la publicité,
en attendant que le marché soit bien connu de la société pour s’auto-réguler.
Perspectives
Le marché de la publicité
paraît très porteur au Cameroun.
Sur un plan plus large :
- 16 millions de Camerounais en 2003 avec une projection de 25 millions en 2005 et surtout plus de 70 % de personnes de moins de 50 ans et 49,6% d’urbains sont des consommateurs importants. La publicité stimule la consommation ;
- La fièvre pétrolière dans le Golfe de Guinée est annonciatrice d’un regain d’activité commerciale, d’une relative augmentation du pouvoir d’achat favorable au développement des marchés ;
- Le Cameroun est le poumon de l’Afrique centrale, et dans un environnement sous-régional fragile, il y règne une paix sociale favorable au développement des marchés ;
- Le libéralisme économique favorise la compétition sur les marchés au Cameroun. Il amplifie la pénétration des innovations dans les marchés en multipliant les désirs d’achat L’effet peut être ressenti dans la pub ;
- L’espoir se trouve dans le développement des PME dont la culture publicitaire est naissante. Il y a toutefois lieu de regretter l’attitude des promoteurs de ces PME, qui pensent être souverainement compétent en toute chose, même en publicité. Ils cherchent à se faire plaisir, à parler à eux-mêmes à travers leur publicité qu’ils choisissent de concevoir en interne, avec un personnel peu qualifié.
Sur un autre plan;
l’arrivée des opérateurs de téléphonie mobile a donné un souffle nouveau à ce
marché où 16 millions d’âmes consomment
le 12è art et peuvent être influencés par un spot publicitaire. Toutes les
entreprises qui communiquent bien ont un retour sur investissement facilement
quantifiable.
Avec l’arrivée du
téléphone portable dans la vie des Camerounais, on se demande aujourd’hui
comment nous avons réussi à vivre sans ce moyen de communication qui nous
permet de limiter nos déplacement et augmente notre rendement.
Il en sera bientôt de
même pour la publicité au Cameroun . Elle est une exigence vitale pour
l’entreprise et ses marques. L’annonceur doit faire valoir haut et fort sa part
de voix ( share of voice ) pour conquérir, préserver ou faire progresser sa
part de marché. Plus les musiciens de l’orchestre jouent fort, plus l’exigence
de se faire entendre s’impose .
Au Cameroun, les hommes
politiques, à la veille des échéances électorales ont commencé à comprendre la
nécessité de confier la gestion de leur image aux professionnels de la
communication.
La diversité des discours
publicitaires ancrés dans la culture locale peut permettre de dire sans
équivoque qu’il existe une publicité à la camerounaise.
La publicité vit en temps
réel son époque car les publicitaires sont les récupérateurs des faits sociaux,
les baromètres du temps qui passe; Ne dit-on pas - à tort ou à raison - que les
publicités américaines sont primaires, celles des Anglais humoristiques, les
allemandes ennuyeuses, les françaises exécutoires tandis que les publicités
espagnoles sont spontanées et les japonaises ésotériques? Et le Cameroun alors?
Le Cameroun est assez
atypique dans sa composition sociologique. Il n’est ni la colonie publicitaire
de la France, ni celle de l’Angleterre, encore moins celle de l’Allemagne.
Le Cameroun est qualifié
à juste titre de "condensé" ou de "synthèse" de l'Afrique,
car sur son sol, existent, cohabitent, se côtoient et se croisent toutes les
grandes traditions culturelles de l'Afrique sub-saharienne, à savoir:
- Les cultures bantou de l'Afrique de hautes montagnes et des grands lacs, sans oublier l'Afrique australe etc.
- Les cultures soudano-sahéliennes des savanes herbeuses et des plateaux de l'Adamaoua, des plaines sablonneuses et régions chaudes du Sahel, sans oublier toutes les gammes ou "nuances" intermédiaires (cultures nomades, pygmées etc.)
En partant de la côte
atlantique au lac Tchad, un rapide survol du panorama culturel camerounais
permet de distinguer et mieux de mettre en exergue quelques grandes sphères culturelles ayant
leurs originalités et spécificités propres, telles que : le littoral, la zone
forestière bantou, les Grassfields et le septentrion.
Créativité
Est-il possible dès lors
de lire à travers un spot TV le reflet des arts vivants liés à la culture
côtière Sawa, ou l’art du Mvet des bantou de la forêt, la richesse de l’art
royal et les costumes étincelants
Grassfields, l’art festivalier du
septentrion, des autochtones ou des islamo-peuhls ? Peut-on dire plutôt que la
pub au Cameroun manque de sel ou que les différentes campagnes manquent d’étincelle à cause de l’absence des éléments
culturels ci-dessus évoqués?
Le taux d’alphabétisation
est de 72,4 % au Cameroun, avec 48 % de scolarisés. Le niveau de vie est très
faible (300 000 fcfa par habitant et par an ) avec 40 % de camerounais qui
vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les salaires des fonctionnaires ont
baissé sensiblement en pleine dévaluation. Cet état de faits montre à
l’évidence la complexité du discours publicitaire au Cameroun.
Ecrasée sous le poids des
conventions socioculturelles, minée par
les a priori dont la traduction la plus perverse est l’infantilisation et
parfois la crétinisation du destinataire du message publicitaire, la créativité
au Cameroun a cédé le pas à des
paradigmes sempiternellement récurrents, notamment :
- Les schémas problème/solution,
- Les schémas préjugé/démonstration par un tiers prescripteur, ou encore les présentations comparatives.
L’analyse ex-post des
productions démontre à dessein que les créations portent en elles-mêmes les
germes de leur inefficacité. Le mécanisme est simple et le premier degré roi :
évocation de la satisfaction réelle liée à l’utilisation du produit.
Dans un contexte marqué
par une recherche de plus en plus patente de sens (ce que d’aucuns appellent la
valeur humaine du produit), dans une société où le besoin d’évasion est marqué,
l’approche est troublante. Le saut disruptif est rarement opéré pour offrir une
communication inductive et ouvrir ainsi les cieux de la créativité authentique.
Rompre le cercle vicieux
des conventions culturelles et des codes publicitaires sans aliéner ou
travestir " l’exception culturelle " camerounaise implique qu’une
action structurelle soit initiée, avec pour objectif l’émergence d’une
corporation publicitaire, d’une véritable instance normative de type Bureau de
Vérification de la Publicité (BVP français), une politique soutenue de
sensibilisation des annonceurs et des masses (menée de concert avec les
médias).
Heureusement, tout n’est
pas sombre dans la nébuleuse de la publicité nationale, et on assiste de temps
en temps à des éclairs de génie dont nous ne pouvons souhaiter que la
pérennisation pour notre passionnant
métier. Peut-être verrons nous alors un de ces jours une cérémonie annuelle de
remise des " Grands Effies " de la publicité Camerounaise ?
*CEO de l'Agence B&C Communication
Mr G. Koueni, j'ai lu avec attention votre réflexion à la cire perdue du visage de la publicité au Cameroun. A travers la riche culture de votre pays, vous suggérez le saut créatif, "disruptif" qui viendrait polir ce masque grossier, de ses creux, de ses reliefs sans toutefois en détruire la matrice, tout en proposant un cerbère aux portes du métier afin que n'y n'entrent les aventuriers "recommandés" . Ne craignez-vous pas que ce "sursaut" culturel ne développe des replis/rejets identitaires qui briseraient l'unité de cette "exception culturelle"? Un Bureau de Vérification de la Publicité pourrait-il mieux qu'une Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité assainir la corporation?
RépondreSupprimerMelingui Mama Joachim
designer
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