De Lubumbashi à Yaoundé. Chronique d’un confiné

L’auteur vient de passer soixante jours dans la ville de Lubumbashi, chef-lieu de la province du Haut-Katanga, en raison de la fermeture des frontières terrestres, aériennes et maritimes de la République Démocratique du Congo et l’instauration d’un état d’urgence sanitaire, conséquentes à la pandémie Covid-19. Cet ensemble de décisions n’est d’ailleurs pas spécifique à la seule RDC. Toutes les liaisons aériennes internes entre Kinshasa et les principales villes de la RDC -à l’exception des vols cargo- sont également suspendues par ailleurs. Il vient de rejoindre le Cameroun et les siens, par le bénéfice d’un vol charter affrété par le gouvernement camerounais. 

Ma nuit a été courte. Une douche rapide, et me voilà parti en direction de l’aéroport international de Lubumbashi-Luano. Il est 5h30 du matin. À toute vitesse, je traverse la ville. Les rues sont désertes. Sur les principaux carrefours, quelques motos-taxis stationnés et transis par la fraîcheur de l’aurore, attendent des clients matinaux et les premiers rayons de soleil pour se réchauffer. 
Les contrôles de sécurité effectués, je m’installe dans la salle d’attente de l’agence de voyage qui doit faciliter mon déplacement vers Kinshasa. Depuis presque soixante jours déjà, je me trouve en transit prolongé à Lubumbashi dans le Haut-Katanga. Mon arrivée dans la ville pour une mission de travail a coïncidé avec la déclaration de l’état d’urgence sanitaire en RDC, et la fermeture de toutes les frontières nationales. Seuls des avions cargo desservent l’intérieur du pays.
En attendant que la procédure d’embarquement effectif soit activée par le transporteur cargo, je me conforme avec soin aux règles sanitaires imposées à tous les voyageurs : prise de température et remplissage d’une fiche de renseignement retraçant l’historique de mes déplacements au cours des dernières semaines. Les contrôles de police prennent le relais : ils veulent s’assurer que les documents m’autorisant à me déplacer vers la capitale de la République Démocratique du Congo sont bien conformes aux règles d’usage.

Les deniers jours de ma semaine ont été pleins d’angoisse, dans cette ville de plus de 3 millions d’habitants, dont certains battements de cœur me sont parvenus pendant mon séjour : Lubumbashi est une ville vivante mais également une ville au taux d’insécurité assez élevé. Il ne se passe pas un jour sans que les médias locaux ne fassent état de violences. La ville a été récemment secouée par des affrontements armés entre les milices Maï-Maï Bakata Katanga de Gédéon Kyungu Mutanga et des éléments des Forces armées de RDC (FARDC) en patrouille. On a dénombré une trentaine de morts. 
En outre, certains quartiers populaires sont parfois pris d’assaut par des bandes armées qui dépouillent les populations, dans des excès de violence qui entrainent très souvent des pertes en vies humaines. Cette situation de pics d’insécurité répétés a d’ailleurs conduit le Gouverneur de la Région du Haut-Katanga Jacques Kyabula Katwe à limoger, pendant mon séjour, le Ministre provincial de l’Intérieur.

Depuis que l’Etat du Cameroun a rendu public l’organisation d’un charter destiné à rapatrier ses citoyens bloqués hors des frontières nationales, je suis plus qu’impatient de retrouver les miens. Alors, pouvoir profiter de cette opportunité, qui ne devrait pas se représenter avant un certain moment est devenu un enjeu vital.
Dès la fermeture des frontières nationales par le gouvernement camerounais, le 17 mars, j’ai pris attache avec l’ambassadeur du Cameroun en RDC, pour me signaler comme il en avait été instruit à tous les camerounais se retrouvant en dehors des frontières nationales au moment de leur fermeture. 
Au cours de notre échange téléphonique, l’ambassadeur Chungong Ayafor, m’a expliqué avec bienveillance qu’il fallait tout simplement que je trouve le moyen de rejoindre les frontières du Cameroun : l’on ne pouvait m’empêcher de rentrer dans mon pays. C’était sans compter avec la complexité de la situation qui s’annonçait du fait de la pandémie Covid-19. D’ailleurs, quelques jours plus tard, un avion de la compagnie Kenya Airways sera refoulé vers Nairobi, alors qu’il était déjà en approche de Douala.

Dès l’annonce de l’affrètement du charter par les autorités camerounaises (au départ exclusif de Kinshasa), ma messagerie WhatsApp se retrouve presque saturée de messages de parents et d’amis. Tous veulent savoir si j’en suis informé. Je réponds alors à chacune des personnes s’étant souciée de ma situation que j’ai bien reçu l’information, mais que la difficulté provient de ma présence à Lubumbashi, distante d’approximativement 2000 km de Kinshasa, et que faute de pouvoir rejoindre Kinshasa en avion, tout est peine perdue. 
Pour que je puisse espérer emprunter l’avion affrété par les autorités camerounaises, les responsables de mon entreprise basés en RDC vont alors solliciter, pour mon compte, une autorisation d’évacuation auprès du Ministère de l’Intérieur, Sécurité et Affaires coutumières, par le biais de la Direction Générale des Migrations (DGM), l’organisme en charge de la police des frontières. 
Ainsi donc, le 8 mai par une correspondance, le Directeur de cabinet du Directeur de la DGM accède à leur requête, moyennant quelques prérequis : « …si toutes les autorisations requises vous ont été accordées par les autorités compétentes… ». La formulation de la lettre nous met en demeure d’obtenir des autorisations supplémentaires. 
Nous sommes samedi après-midi, et les chances de trouver une administration ouverte à cette heure sont plus que minces. Dans ma tête commencent à s’échafauder divers scénarios avec pour unique objectif d’embarquer dans un avion à destination de Kinshasa.
Le courrier de délivrance arrive en début de soirée. Il est environ 20h30. Ma messagerie WhatsApp s’active. Je découvre, avec un soulagement infini, la lettre du Directeur de cabinet du Conseiller spécial du Chef de l’Etat congolais en matière de Sécurité, Djoko Bale Kongolo, adressée au Directeur général de la DGM. Il lui est demandé de « Bien vouloir autoriser son embarquement pour Kinshasa, afin de lui permettre de bénéficier du vol de rapatriement organisé par son pays ».

Après quelques conciliabules sur le tarmac de l’aéroport, j’embarque dans un avion-cargo de la compagnie Gomair. Le Boeing B737-200 immatriculé 9S-AGD transporte diverses marchandises à travers l’immensité de la RDC. Ce territoire aussi vaste que toute l’Europe de l’Ouest (2.345.410 km2 ) a adopté par défaut l’avion comme moyen de transport pour toutes sortes de marchandises, en raison d’un manque cruel d’infrastructures de transport (routières, ferroviaires et fluviales), et dans un choix pratique de rapidité.
Je suis assis sur un sac au contenu assez incertain. Pas loin de moi, des bacs en carton, remplis de poussins qui n’arrêtent pas de piailler. J’aperçois quelques motos, avec des réservoirs rouges couverts d’une pièce de carton protecteur. Perchés au-dessus des motos, un amas de matelas et de sacs de riz ferme mon horizon.
Une odeur de poisson fumé emplit l’avion une fois les portes fermées. Nous roulons sur la piste. Le pilote met les gaz. Et nous voilà dans les airs. Dans ce vol, pas de consignes de courtoisie et de sécurité auxquelles je suis familier dans les vols commerciaux. Guère de : « Ici, c’est le commandant Pablo qui vous parle, notre vol jusqu’à Kinshasa durera 2 heures et quinze minutes... Durant ce vol un repas vous sera servi ainsi que des rafraîchissements. Nous vous remercions d’avoir choisi « Confort-et-Bien-être Air » et souhaitons vous revoir très prochainement sur nos lignes ». 




Patrice Lumumba 

Au moment du décollage, j’aperçois au loin, par les hublots, serpentant et s’éloignant, la route nationale N°1 qui relie Lubumbashi à Kinshasa. Je l’avais empruntée quelques jours plus tôt, en me rendant à la découverte d’un site emblématique de l’histoire violente et tragique de cet immense et riche pays. 
Le 17 janvier 1961, dans les environs de Lubumbashi (alors Elisabethville), Patrice Emery Lumumba, éphémère Premier ministre de la jeune république du Congo était fusillé, en compagnie de Joseph Okito ancien Vice-président du Sénat et Maurice Mpolo ancien ministre. 
Quelques renseignements pris çà et là, je suis finalement dirigé vers un village dénommé Kawama à une cinquantaine de kilomètre de Lubumbashi. La route qui traverse le village est parcourue de façon incessante par de nombreux camions qui vont et viennent vers Kolwezi, cité minière par excellence, où l’extraction du cuivre et du cobalt constituent l’activité industrielle principale. Ils transportent dans un sens les minerais extraits des entrailles de la terre et dans l’autre, les différents intrants devant faciliter l’activité minière qui a fait la réputation de cette zone appelée « Copper Belt », la ceinture de cuivre.
Le dernier découpage administratif de la RDC au cours de l’été 2015, a fait passer le nombre de provinces administratives de dix (10) à vingt-six (26), conformément aux dispositions de la Constitution de 2005. L’une des conséquences immédiates pour ce qui était alors l’immense province du Katanga (plus grande en superficie que le Cameroun, avec 497 000 km2) a été éclatée en quatre provinces, faisant notamment de Kolwezi le chef-lieu de la province de Lualaba. Kolwezi, dont le nom réveille en mon esprit le souvenir cinématographique du parachutage d’éléments du 2ème Régiment Etranger Parachutiste de la Légion étrangère, à la suite de l’envahissement de la ville minière et de la prise de nombreux otages par des miliciens arrivés d’Angola. 

Presque envahie par la broussaille, l’entrée du chemin qui mène au lieu que je cherche est formée d’une arche de béton, de chaque côté de laquelle trônent des bustes de Patrice Lumumba et de Laurent Désiré Kabila, le Mzee (lire Mouzé). 
Après quelques kilomètres parcourus sur une route en terre, apparaît, comme au milieu de nulle-part, un terrain dégagé et régulier recouvert de latérite. On aperçoit à une extrémité, un avion, un DC4, qui porte encore, bien lisible, son immatriculation d’origine : 9Q-CJJ. 
Un guide de circonstance d’un âge avancé se propose de me faire découvrir les lieux, moyennant la modique somme de 5000 francs congolais (environ 1500 F Cfa). Je me laisse prendre au jeu.
Le projet de mémorial entrepris par Laurent Désiré Kabila se résume en trois parties. De chaque côté du site, une série de 5 stèles devant accueillir les statues des acteurs majeurs de la « Table ronde » ayant conduit à l’indépendance du Congo le 30 juin 1960 : Jean Bolikango, Joseph Kasa-Vubu, Albert Kalondji, Paul Bolyau, Moïse Tshombé, Cléophas Kamitatu, Essandja, Mbuta Kanza…
Le centre du mémorial se trouve quant à lui réservé à Patrice Lumumba et, un peu plus loin, dans le même espace, un coin est aménagé pour honorer la mémoire de Laurent Désiré Kabila, assassiné le 16 janvier 2001 à Kinshasa. Sur cette partie du mémorial, se trouve une fosse bordée de piliers qui, on l’imagine, se destinaient à accueillir un toit. On y accède par des escaliers. Au milieu de cet ensemble, une tombe sommaire faite de briques rouges et portant une croix. Elle symbolise le lieu où Patrice Lumumba et ses deux compagnons d’infortune ont été provisoirement ensevelis, après avoir été fusillés par un peloton commandé par des officiers belges, en présence, semble-t-il, de Moïse Tshombé, Président de l’éphémère république du Katanga, et certains de ses collaborateurs. A une dizaine de mètres de-là, mon guide m’indique l’arbre qui a servi de poteau d’exécution aux trois victimes. Quelques mètres plus loin, une statue de couleur rouge ocre d’un Patrice Lumumba effectuant un salut de sa main droite et tenant un attaché-case de la gauche, exécutée sans grande finesse, veille.
En parcourant ce site, dont il faut saluer l’initiative, tout en déplorant l’inachèvement (à l’image même de cet Etat inachevé qu’est la RDC), une forte émotion m’envahit. Les questions lancinantes du respect de la mémoire et de l’histoire dans plusieurs des pays d’Afrique refont surface. Dans ma tête trotte le refrain mythique de « Indépendance Cha Cha… » de Joseph Kabasele et de l’African Jazz. Alors, j’esquisse, sous le coup de l’émotion, quelques pas de danse. Les souvenirs de nombreux films et documentaires sur la vie de Patrice Lumumba me reviennent subitement en tête. Des questions aussi. Une chaîne de « pourquoi ? » qui continuent de rester… sans réponse.







Voyage improbable

En guise d’évasion pendant la durée de mon voyage (cinq heures en tout, durée de l’escale comprise), je me plonge dans la lecture d’un roman de Flynn Berry que j’ai acheté quelques jours plus tôt dans une librairie de Lubumbashi, quasiment à prix d’or : 30 dollars, pour thriller qui coûterait pas plus de 10 sous d’autres latitudes. L’intrigue se déroule dans la campagne anglaise où une jeune fille, Nora, londonienne, prend le train pour retrouver sa sœur, qui vit seule dans une ancienne ferme. A son arrivée, elle découvre une scène macabre : Rachel gît, étendue, dans une mare de sang. Assassinée. Elle décide alors de mener une enquête pour découvrir l’auteur de l’assassinat de sa sœur. Ce roman, je l’apprends en parcourant les pages d’introduction, a reçu le prix Edgar Allan Poe 2017 du meilleur premier roman. Mais ce n’est pas assez pour me sortir des conditions improbables de mon voyage.
Au bout d’une heure de vol, je me lasse de ma lecture. L’inconfort de mon siège ne m’aide sans doute pas. En face de moi, assis sur la banquette habituellement occupée par le personnel de cabine sur les vols commerciaux, les trois convoyeurs discutent tout en remplissant des manifestes qui, je devine, récapitulent le chargement de l’avion. J’ai du mal à les entendre, en raison du grondement assez élevé des moteurs, et du piaillement incessant des poussins. 
L’un des convoyeurs s’empresse de m’empêcher de dégainer mon téléphone portable, afin d’immortaliser l’insolite de la situation dans laquelle je me trouve. Je feins d’obéir, et dans un moment de distraction, je m’offre le plaisir de quelques selfies avec, en arrière-plan, le chargement à raz-bord du Boeing 737-200 de Gomair, l’une des multiples compagnies aériennes qui opèrent en RDC, effectuant transport de passagers et de fret. Les avions de ces compagnies sont d’ailleurs épinglés pour les nombreuses défaillances d’entretien et de sécurité. En décembre 2018, un Antonov 26 de Gomair, de retour de Tshikapa où il avait transporté du matériel électoral, s’est écrasé en approche de l’aéroport de N’djili, causant la mort des 7 membres de l’équipage.
Le vol est tranquille, sans secousses. La saison des orages est passée. D’ailleurs, je me pose la question de savoir comment le vol se serait déroulé en cas de turbulences, sans ceinture de sécurité. J’imagine que j’aurai été balloté, sans ménagement, à la manière d’une balle de flipper. Mes pensées sont interrompues par les manœuvres de descente que l’avion entreprend subitement. Nous touchons la piste de l’aéroport de Kananga, capitale de la province de Kasaï-Central, à mi-chemin de Kinshasa. L’avion freine. Je me retourne instinctivement, pour m’assurer de ne pas être percuté par un carton ou un sac qui se détacherait, sous la pression de l’ensemble des bagages installés derrière moi. 
Les portes s’ouvrent. L’avion est assailli par une marée humaine vêtue de chasubles fluorescentes. Je suis obligé de quitter provisoirement ma banquette d’infortune, pour me réfugier sous une des ailes de l’avion qui me sert de protection contre le soleil qui darde, au mitan de la journée : il est 12h15. 
Kananga (anciennement Luluabourg) se trouve sur les rives de la rivière Lulua, à environ 1000 kilomètres de Kinshasa. Située approximativement au centre de la RDC, cette ville avait été choisie par les participants congolais à la Table ronde de Bruxelles (20 janvier -16 mai 1960), pour abriter la capitale du futur Etat du Congo. Il en a été tout autrement par la suite. 
De mon poste d’observation, je suis de près le ballet incessant du déchargement de l’avion-cargo par la noria de la cinquantaine de manutentionnaires qui l’ont envahi. Assis sous l’aile protectrice de l’avion, j’ai le loisir d’apprécier la capacité d’emport du Boeing 737-200 en version cargo. Je m’essaie au comptage des colis sortis du ventre de l’aéronef. Je dénombre plus d’une vingtaine de motos, des centaines de cartons et de sacs contenant tous types de produits alimentaires ou utilitaires, des matelas, des casiers de bière, des tôles et même des moules pour ouvrages en béton armé...
Deux camions chargés à ras-bord de sacs contenant des légumes viennent, à tour de rôle, se garer près de l’avion et y faire transborder leur cargaison. Percevant mon inquiétude, les convoyeurs me rassurent que l’avion peut emporter jusqu’à 40 tonnes de fret dans sa configuration cargo. Les tâches de manutention sont exclusivement manuelles. La cinquantaine de porteurs s’affairent sans arrêt, durant les deux heures que durent l’escale de Kananga. 
La totalité de la cargaison embarquée, l’avion décolle de nouveau, à destination de Kinshasa. Pour ce nouveau tronçon, ma banquette a pris la forme d’un sac de charbon. Une heure et demi-plus tard, notre cargo des airs se pose sur les pistes de l’aéroport international de N’djili. Ouf, me voici à Kinshasa !




Confinement à Lubumbashi

Après les formalités sanitaires et de police, je suis dans le véhicule qui m’attend depuis l’aurore. Je traverse les quartiers populaires qui longent le boulevard qui conduit à Kinshasa. Les rues sont bondées de monde et les trottoirs remplis d’étals de marchandises. Les klaxons des motos-taxis et des mini-bus de transport de couleur jaune créent un tohu-bohu incessant et assourdissant. A l’observation, ici, mesures barrières et autres précautions de protection préconisées pour lutter contre la Covid-19 sont de vains concepts. La loi, la seule qui prévaut, semble être celle de la survie : « Nkonga ! débrouille-toi, tu es chez toi ! ». Pour mémoire, l’ex Etat séparatiste du Sud-Kasaï, se retrouve face aux contingences sécuritaires et économiques procédant de la guerre civile à laquelle est confrontée la république du Congo, au début des années soixante. Pris au dépourvu, il promeut la débrouillardise comme principe d’action, et contribue à populariser l’expression devenue célèbre, et qui se rapporterait au quinzième article fictif d’une constitution qui n’en comportait que quatorze : « Débrouillez-vous ! »

Sur le Boulevard Patrice Lumumba, les embouteillages sont traditionnellement endémiques. En cette période de la journée, ils le sont davantage encore. La faute aux travaux d’aménagements infrastructurels inachevés des « cent jours » (engagés à la suite de l’avènement au pouvoir du nouveau chef de l’Etat), qui en ce moment, sont au cœur de l’actualité en RDC, avec l’arrestation et l’incarcération du Directeur du cabinet présidentiel, coordonnateur desdits travaux, dont le procès est en cours. Sur le chemin, on peut observer quelques sites de chantiers entourés de tôles recouvertes de peinture bleue.
Je m’installe dans un hôtel sans grand luxe, dans la proximité du siège du parlement et du Stade des Martyrs de la Pentecôte. Ce choix est guidé par les mesures mises en place par les autorités, pour réglementer la circulation des personnes dans la riche commune de la Gombe, centre névralgique de l’ancienne Léopoldville. Ces mesures font presque office de fortification, pour barrer la route à l’expansion de la terreur (sanitaire) du moment dans la vieille ville de Kinshasa. Si je veux avoir une chance de prendre mon avion, je dois me soustraire aux contrôles qui pourraient durer une éternité.

Durant ma nuit de passage à Kinshasa, je me replonge dans les souvenirs de mon séjour à Lubumbashi. A mon arrivée dans la ville, je suis logé à l’hôtel Hollyboum. Tenu par une famille d’origine européenne et situé pas loin du centre de la ville, cet établissement hôtelier offre un service correct et son restaurant est l’un des plus réputés de la ville. La déclaration de l’état d’urgence sanitaire par le gouvernement congolais qui a conduit à la fermeture des bars, restaurants et cafés, frappera de plein fouet l’activité de ce lieu qui au fil du départ des derniers clients, ressemblera jour après jour à un vaisseau fantôme navigant dans un océan agité. J’y passe une dizaine de jours et lorsqu’il apparaît que mon séjour sera très probablement long, je quitte ce cadre pour un Guest house. Il s’agit d’une immense maison située sur l’avenue Kamanyola qui longe le quartier Baudouin, un des quartiers chics de Lubumbashi, et conduit jusqu’aux premières mines de cuivre et au siège de la fameuse Générale des carrières et des mines (l’ancienne Union Minière du Haut Katanga devenue Gécamines, lors de sa nationalisation en 1967), l’un des fleurons de l’économie congolaise.
Mes journées, que je passe seul dans cette immense bâtisse posée au milieu d’un jardin de 4000 m2, sont consacrées au télétravail, à la télévision et à diverses lectures.
Je profite de mon exil forcé pour me lancer dans un projet ambitieux : refaire ma culture cinématographique. Netflix, Paramount Channel ou Action deviennent alors mes principaux compagnons durant mes longues nuits sans sommeil. Je redécouvre le plaisir du cinéma à travers des séries. Certaines m’ont profondément ému à l’exemple de « Self-made », basée sur des faits réels et consacrée à Madame C. J. Walker première millionnaire Afro-américaine. Elle aura consacré sa vie à la production de cosmétiques destinées aux femmes noires. Militante, oratrice hors pair et surtout femme d’affaires avisée, elle aura mis son énergie à la promotion et à l’émancipation des « Colored people". 
Je passe de longues et interminables soirées, accroché à Paramount Channel, essayant de m’immerger dans le rôle de critique de cinéma, scrutant et appréciant les détails de la réalisation, des prises de vues, des effets spéciaux des techniques de narration utilisées par la réalisation. J’en profite pour revisiter quelques succès des années 70 comme les adaptations du roman de F. Scott Fitzgerald, « Gatsby le magnifique » par Jack Clayton, avec Robert Redford et Mia Farrow dans les rôles principaux ou celle plus récente de Baz Luhrmann avec Leonardo Di Caprio et Carrey Mulligan.
Les rigueurs de ma solitude sont adoucies pendant les week-ends, par Lia, son époux Sébastien et leurs nombreux amis Lushois. Leur résidence devient pour moi un lieu de rencontres qui par le partage et les échanges, m’ouvrent les horizons de la ville Lubumbashi et du Congo. J’y rencontre, le temps d’un dîner ou d’un barbecue, quelques acteurs de la vie sociale, politique et économique de la capitale du Haut-Katanga : ils sont congolais, togolais, français, belges… Nous partageons histoires vécues et idées, refaisant le monde, avec l’espoir de le rendre meilleur.


Retour au pays natal !

Il est 6h30, le lendemain matin, lorsque j’arrive à l’aéroport de Kinshasa-N ’djili. J’ai pris le soin d’y parvenir assez tôt, pour éviter les embouteillages qui font la réputation de Kinshasa. Je trouve, assises et somnolant dans le hall de l’aéroport, quelques personnes que je présume être dans la même situation que moi. Après de longues minutes d’attente, une voix appelle au rassemblement des camerounais présents. Puis, le Chef de la mission militaire du Cameroun en RDC, le colonel Eteng Victor Mua prend la parole, pour expliquer et fixer les modalités du voyage. Le style est martial, bref et sec : « L’Etat du Cameroun a affrété un avion pour vous ramener au pays. Je compte sur vous pour que tout se passe dans la discipline et l’ordre. Bon voyage ».
Les formalités d’embarquement effectuées, avec en prime le paiement du « Go Pass » qui me déleste de 55 dollars - taxe instaurée pour améliorer la qualité de l’infrastructure aéroportuaire de la RDC- je peux embarquer avec grand soulagement, dans le vol ET8924, en compagnie de vingt-quatre autres camerounais. Nous y rejoignons quatorze compatriotes ayant embarqué à Bangui en République Centrafricaine. 






Il est 12h30 lorsque le B737-800 de Ethiopian Airlines quitte la piste de l’aéroport de N’djili et met le cap sur Libreville au Gabon, que nous atteignons 1h30 plus tard. Vingt-sept autres camerounais se joignent à nous et nous voilà en chemin vers le Cameroun. 
Mes réflexions se bousculent, pendant cette deuxième séquence de mon voyage de retour au Cameroun. J’aurai la joie de célébrer, avec ma famille et quelques proches, le jour même de la célébration de la fête de l’unité nationale du Cameroun (le 20 mai), mon cinquantième anniversaire de naissance. Un heureux concours de circonstances l’aura rendu possible. Dans le flot d’émotions et la fatigue dont je commence progressivement à ressentir l’effet, je m’interroge sur la dimension « initiatique » de ce confinement de huit semaines, sur mon franchissement de seuil du cinquantenaire…  
Il est 17h15 lorsque le vol spécial ET8924 avec à son bord soixante-six passagers, tous de nationalité camerounaise, touche la piste de l’aéroport de Yaoundé-N’simalen. L’avion s’immobilise. Quelques passagers, impatients de retrouver la terre natale, s’empressent de se lever et de récupérer, dans les compartiments de rangement, leurs bagages de cabine. A travers les hublots, j’aperçois sous les vérandas qui longent la façade du bâtiment principal de l’aéroport de Yaoundé-N’simalen, notre comité d’accueil. Dans l’avion, quelques rires et commentaires : « nous sommes attendus ! » Quelques minutes plus tard, la porte de l’avion s’ouvre.
« Bonjour, je suis le docteur Mbiam, médecin de l’aéroport de Yaoundé-N’simalen. Je vous demande de reprendre vos places... ». Rapidement, le docteur Mbiam explique la procédure de débarquement. Dans la foulée, des fiches nous sont distribuées : deux pour l’engagement sur l’honneur à respecter les mesures de lutte contre la Covid-19, une pour l’identification pour les besoins des services de santé, et une autre pour les services de police.
Les fiches remplies, je peux débarquer. Au bas de la passerelle, deux individus équipés de pulvérisateurs m’accueillent. Généreusement, ils aspergent les bagages que je porte, ainsi que les semelles de mes chaussures d’une solution de chlore. Puis, je prends place dans la longue file de passagers qui s’est déjà constituée, pour subir la batterie de tests qui nous attendent.
La première étape est une prise de température, et la remise de la fiche de santé. Le commis au thermomètre annonce 33,4•c. C’est à croire que la petite averse qui s’est abattue sur l’aéroport de Yaoundé-N’simalen au moment de notre débarquement m’a refroidi.
Ensuite, ce sont les prélèvements nasaux-pharyngés. En français facile, des écouvillons, ces longues tiges qui se terminent par une fine boule de coton, sont introduits profondément dans les narines, pour prélever un peu de mucus et des cellules épithéliales. Après les ultimes explications du médecin responsable de l’équipe qui a assuré notre prise en charge -et qui nous précise que nos passeports seront retenus jusqu’à la connaissance des tests de confirmation effectués- je quitte l’aéroport de Yaoundé-N’simalen 4 heures plus tard dans un bus affrété pour la circonstance. Avec une seule envie : retrouver ma famille et tous ceux qui me sont chers, à l’issue de la quarantaine à domicile, que je dois m’imposer.
Bouba Kaélé

Commentaires

  1. J'ai lu et j'ai aimé le recit ... bon retour au pays natal "Big". Profites de la famille !

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  2. un vrai cahier d'un retour au pays natal

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  3. Magnifique et très émouvant ..je comprends tout a fait votre émotion et je la ressens vous devriez en faire un livre avec les photos c'est magnifique ça me rappele celui " hemley boum " les maquisards. En tout cas merci d'avoir partagé
    Bon retour Aime Césaire du Cameroun

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  4. Très beau récit. Bon retour au pays

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